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Inclusion/citoyenneté

Des seniors font leur cinéma pour parler d’amour

Type d'action

  • Bénévolat
  • Lien intergénérationnel
  • Lien social
  • Lutte contre l’isolement
  • Personnes âgées

Département

Morbihan (56)

Sur le vif

« Le film a changé le regard de mes proches. A la fin du tournage, j’ai rencontré quelqu’un et grâce au film, j’ai pu en parler avec mes enfants.» - Jojo, une des participantes, membre de l’équipe du film.

« On a montré le film en EHPAD, dans une école d’infirmière. Les résidents ont parfois été un peu choqués, car ils ont ressenti la violence de leur propre vécu. Et les enfants présents étaient interpellés. Mais le personnel a un outil pour amorcer le dialogue. » -  les seniors, membres de l’équipe du film.

« Je suis toujours étonné de la richesse des échanges lors de la projection, des réactions que suscite le film. Et je suis admiratifs des participants : ils ont fait preuve d’une forme de courage en abordant ce sujet. » - Julien Scheidle, le réalisateur du film.

Porteur(s) de l'action

Maison Pour Tous de Kervénanec à Lorient et l’association « J’ai vu un documentaire »

Objectif(s) et bref descriptif

Afin de faire tomber le tabou de la vie amoureuse et de la sexualité des personnes âgées, un groupe d’une dizaine de retraités a réalisé et interprété un documentaire, intitulé « Y a pas d’âge pour dire je t’aime ». Accompagnés par la Maison Pour Tous de Kervénanec, un centre social implanté dans un quartier politique de la ville de Lorient, par l’association « J’ai vu un documentaire » et par un réalisateur documentariste, Julien Scheidle, ils ont travaillé pendant plus d’un an à ce projet.  Démarré juste avant le premier confinement de la crise Covid, il a permis de maintenir le lien entre les participants. Les seniors se sont appropriés le sujet et les différentes formes de récits cinématographiques en découvrant des films, ouvrages et chansons qui sont venus enrichir le scénario. Co-construit avec les personnes âgées elles-mêmes, ce dernier fait la part belle à leur récit de vie et à leur parole, croisés avec des témoignages de professionnels de l’accompagnement et d’enfants. Présenté pour la première fois en mai 2021 aux habitants du quartier de Kervénanec, le film connait une diffusion croissante. Les seniors qui l’ont réalisé participent systématiquement à ces projections, pour enrichir de leurs expériences le débat que ne manque de susciter ce documentaire auprès des spectateurs.

L’essentiel

Porteur : La Maison Pour Tous de Kervénanec, centre social créé en 1977 dans le quartier lorientais de Kervénanec ; L’association « J’ai vu un documentaire », qui promeut le « cinéma du réel » et développe des actions de médiation culturelle. 

Date de création : 2020

Population concernée : Pour la réalisation du film : Les usagers de la Maison Pour Tous, notamment les seniors âgés de plus de 60 ans ; Pour la diffusion du film : tout public. 

Territoire concerné : Pour la réalisation du documentaire : Lorient et ses environs ; Pour la diffusion du documentaire : national. 

Objectifs de l’action : Libérer la parole des personnes âgées et alimenter le débat public sur le sujet des relations amoureuses après 60 ans ; 
Susciter une prise de conscience des proches et des professionnels ; Favoriser la capacité d’agir des personnes âgées et leur reconnaissance comme citoyens à part entière ; Lutter contre l’isolement des personnes âgées. 

Partenaires : Conférence des Financeurs de la Prévention de la Perte d’Autonomie du Morbihan ;  Direction Départementale de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), Ville de  Lorient, CAF, association « J’ai vu un documentaire »

Caractère innovant : Le choix du sujet, à la fois intime et encore tabou ; L’implication des habitants, dans la réalisation et la diffusion du documentaire et dont la présence lors des projections contribue à alimenter les échanges et à favoriser le débat ; La volonté d’une diffusion vers des publics très variés : personnes âgées, professionnels de l’aide et du soin, jeunes…

Impacts :

  • Un impact individuel et collectif sur les personnes âgées qui ont participé à la réalisation du documentaire : la création d’une dynamique de groupe avec des liens de confiance et de solidarité forts entre les membres ; une meilleure estime de soi née de la fierté d’avoir fait aboutir le projet et de l’accueil reçu par ce dernier ;
  • L’affichage dans l’espace public d’un sujet encore tabou, avec une prise de conscience et un changement de regard des spectateurs sur la vieillesse ; certains participants ont profité du film pour assumer une relation et la révéler à leurs proches ;   
  • La possibilité d’utiliser le film comme outil de sensibilisation des professionnels du soin et de l’âge.

Origine(s)

Installée juste après l’arrivée des premiers habitants de cette Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) aménagée dans les années 70, la Maison Pour Tous de Kervénanec se situe au cœur du quartier lorientais du même nom.  Réaménagé depuis 20 ans dans le cadre d’un programme de rénovation urbaine, le quartier compte environ 10 000 habitants dont près de 1800 dans sa partie nord. Constitué à 90% de logements sociaux, Kervénanec Nord est identifié Quartier Politique de la Ville. Plusieurs dizaines de nationalités s’y côtoient et près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.

La Maison Pour Tous, membre de la fédération des centres sociaux, est un acteur reconnu du Grand Kervénanec. Elle héberge 72 associations très diverses (mission locale, boutique de droit, accompagnement éducatif de SeSAM Bretagne, aide aux devoirs, prévention santé, culture, loisirs …). Sa vingtaine de salariés, épaulés par 140 bénévoles, développent au quotidien des projets à l’attention d’un public de tous âges dans différents espaces publics du quartier (tiers lieu numérique au centre commercial, productions culturelles à la Balise, salle de spectacle municipale, jardin partagé…). Avec un seul crédo : celui de l’éducation populaire et de la mixité des populations.

Parmi les quelques 850 adhérents de la MPT, 17% ont plus de 60 ans. Ces seniors représentent également entre 30 et 40% des bénéficiaires des activités proposées (chorales, randonnées, couture solidaire, jardins partagés…), et plusieurs fréquentent aussi la Maison en tant que bénévoles pour animer des ateliers. Beaucoup considèrent la MPT comme une seconde maison. Dans le vaste espace du 1er étage, tout le monde se croise : on peut se poser, boire un café, découvrir les photos des dernières initiatives, échanger de façon informelle avec les professionnels. Ces derniers constatent qu’un sujet revient régulièrement dans les conversations des plus âgés des adhérents, surtout les femmes : celui de refaire sa vie après un veuvage ou une séparation, afin de rompre la solitude que laisse le départ du conjoint. Les discussions évoquent la vulnérabilité et la douleur générées par ces situations car si certains s’autorisent un nouvel amour, d’autres non, appréhendant le regard de la société et de leurs proches, notamment leurs enfants. 

Début 2020, la MPT décide de sonder la mobilisation de ses adhérents à engager un projet sur ce sujet délicat de « l’amour après 60 ans ». Une vingtaine de participants, adhérents mais aussi partenaires comme le service d’animation culturelle de la ville de Lorient, répondent présents lors d’une première réunion et rapidement l’idée de réaliser un documentaire s’impose. Il abordera le sujet essentiellement sous l’angle du sentiment amoureux, celui de la sexualité demeurant trop intime pour la majorité des personnes intéressées.

Le pilotage du projet est alors confié au coordonnateur des activités adultes de la MPT, qui s’associe à l’association « J’ai vu un documentaire », avec laquelle des collaborations se sont développées depuis 2016. Cette association lorientaise promeut la réalisation et la diffusion de documentaires, notamment à travers des ateliers d’éducation à l’image. Elle propose l’un de ses réalisateurs, Julien Scheidle, formé à l’éthnosociologie et ancien habitant du quartier, pour accompagner la démarche. Un dossier est également déposé auprès de la Conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie (CFPPA) du Morbihan, qui accorde son soutien financier au projet, en raison du caractère innovant de la thématique abordée, des collaborations pré-existantes avec les services du département (espace autonomie santé de Lorient) et de la légitimité acquise par la MPT.  

Description détaillée

Libérer la parole des seniors

Afin de permettre aux seniors de s’impliquer pleinement dans la démarche de création et dépasser leurs appréhensions à « faire un film », la MPT commence par susciter des temps de rencontre entre les personnes intéressées. Elles sont invitées à visionner des films abordant le sujet des relations amoureuses à différents âges de la vie, sélectionnés avec l’aide de la médiathèque située à proximité du centre social. Ils permettent à la fois aux participants de se familiariser avec l’objet filmé, de découvrir des approches différentes du sujet, mais surtout d’apprendre à se connaitre, de créer de la confiance et peu à peu de commencer à raconter leurs propres histoires de vie.

Progressivement, un groupe ouvert d’une dizaine de participants se constituent : une majorité de femmes et deux hommes, âgés de 62 à 89 ans, qui se retrouvent jusqu’à deux ou trois fois par semaine en petit groupe, en raison des contraintes de confinement imposées par la crise COVID. Soutenus par l’animateur qui alimente leur réflexion et encouragés par le réalisateur, présent en moyenne trois fois par mois pour leur apporter un cadre, ils précisent peu à peu la forme du documentaire, constitué de matières différentes : sélection de témoignages, chansons, saynètes restituant des faits divers, extraits de films ou de vidéos repérés sur internet.

Faire œuvre commune

Des dynamiques se créent au sein de la MPT comme à l’extérieur, avec d’autres publics. Accompagnés par la coordinatrice enfance/jeunesse, des enfants racontent leurs premières émotions amoureuses et le regard qu’ils portent sur la vie affective de leur grands-parents. Des familiers de la MPT complètent les témoignages des membres du groupe, avec des approches culturelles différentes (africaine notamment), ou des expériences professionnelles, comme celle d’une aide-soignante en EHPAD.

Le groupe est également encouragé à sortir de la MPT et sollicite d’autres acteurs en lien avec les personnes âgées. Les projets d’associer un EHPAD, de réaliser un micro-trottoir ou de tourner lors d’un thé dansant ont dû être abandonnés en raison de la crise Covid. D’autres n’ont pas réussi à se concrétiser, comme la réalisation de la musique par des jeunes du quartier. Toutefois, certains contacts qui jugeaient à l’origine le sujet trop « dérangeant », manifestent aujourd’hui leur intérêt pour diffuser le documentaire.

Une exigence artistique

En matière de réalisation, les seniors choisissent de confier l’intégralité du tournage et du montage à Julien Schneidle. La majorité des séquences sont filmées au fur et à mesure de l’avancée du scénario, soit dans le cadre de la MPT, pour les fictions ou les témoignages extérieurs, mais le plus souvent à l’occasion de réunions des membres du groupe au domicile de celui ou celle qui s’exprime.  Le réalisateur se contente alors de poser sa caméra et de laisser la conversation suivre son cours, permettant ainsi une plus grande liberté de parole.  Une pratique qui allège la pression sur les seniors, inquiets de leur image et de leur prestation à l’écran, mais qui nécessite également un travail de montage très important pour sélectionner les séquences parmi les dizaines d’heures de rush.  Plus d’un an après le démarrage du projet, après beaucoup de tâtonnements et quelques phases de découragement, la version finale du documentaire d’une durée de 64 minutes est projetée au public à l’occasion de l’édition 2021 du festival Joli Mai, organisé à la salle culturelle de Kervénanec par « J’ai vu un documentaire ».

Changer le regard

L’accueil réservé par le public est une véritable surprise, tant pour l’équipe du film que pour les proches des personnes âgées, chez qui il suscite émotion et admiration. Plusieurs reconnaissent que le documentaire a changé positivement le regard qu’ils portent sur la vieillesse et sur leurs parents. Les seniors qui ont participé éprouvent une véritable fierté d’avoir mené à terme ce travail, un sentiment d’utilité et témoignent des liens de confiance qui se sont tissés entre eux et qui se prolongent depuis la fin du tournage.

Personne ne s’attendait à ce que le film provoque autant de débat et de réactions chez les spectateurs. C’est notamment le cas lorsque sont évoquées les tensions entre les seniors et leurs enfants, souvent mal à l’aise, voire franchement hostiles, face à la nouvelle vie affective de leur parent vieillissant, ou encore les difficultés à vivre une relation de couple en EHPAD. A chaque présentation, même devant un public restreint, les questions sont nombreuses et les témoignages se succèdent. Malgré, ou peut-être en raison de son côté amateur et des défauts inhérents, le film suscite une forte adhésion. 

TEASER Il n'y a pas d'âge pour dire je t'aime from J'ai vu un documentaire on Vimeo.

Susciter le débat au-delà des murs de la MPT

Si à l’origine, seule une diffusion du documentaire sous forme de DVD ou de clé USB a été envisagée, l’intérêt qu’il génère, son impact public et l’envie des seniors d’en porter la promotion ont conduit la MPT et la production à envisager une diffusion plus large. Plusieurs cibles sont identifiées : les centres sociaux de la région avec le soutien de la Fédération régionale, les établissements accueillants des personnes âgées (EHPAD, résidences autonomie…), les instituts de formation en soin infirmiers (IFSI).  « J’ai vu un documentaire » inscrit le film sur le réseau zoom Bretagne qui promeut des réalisations régionales.  Plusieurs médiathèques s’en emparent, pour organiser des projections publiques suivies de débat. Sur la commune de Baud (56), par exemple, la séance, organisée en journée pour toucher en priorité le public senior, a été organisée en lien avec le CCAS.  A chaque fois, la MPT facilite le déplacement des seniors ayant participé à la réalisation et de l’équipe de production, pour qu’ils enrichissent de leurs témoignages les débats qui suivent la projection. Fin 2023, une vingtaine de projections/ débats auront été organisées.

Dans la continuité de « Il n’y a pas d’âge pour dire je t’aime », et en écho à des questionnements qui sont apparus au fur et à mesure des échanges, la MPT envisage de continuer à donner la parole aux seniors sur d’autres sujets qui les préoccupent, comme le passage de la vie active à la retraite ou la fin de vie.

Bilan

Points positifs

  • Un porteur de projet, la MPT, implanté de longue date sur quartier, qui a su tisser des liens de confiance avec les habitants et dont la légitimité est reconnue par ses partenaires ;
  • Un projet social qui privilégie le pouvoir d’agir des habitants, fortement partagé entre la gouvernance et les professionnels et porté conjointement avec les adhérents ;
  • L’ouverture du projet à d’autres générations et d’autres cultures, favorisée par la mixité des publics du centre social ;
  • Le coportage entre une structure sociale et une association du secteur culturel.

Points d’attention

  • La réticence initiale de certains partenaires à s’engager sur un sujet jugé « trop intime » (EHPAD, CCAS, coordination MonaLisa…) ;
  • La mobilisation dans la durée des participants, qui nécessite des rendez-vous réguliers et un suivi important de la part des professionnels qui accompagnent le projet. Le groupe a mis du temps à se stabiliser ;
  • Faire collaborer des acteurs de champs différents, en l’occurrence de l’animation sociale et de la création artistique.

Partenaire(s)

Les partenaires réguliers de la Maison Pour Tous : 

  • La Caisse d’allocation familiale du Morbihan vers une prestation d’animation globale à la MPT qui bénéficie de l’agrément CAF ;
  • La Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS). La MPT est engagée sur cinq appels à projets Politique de la Ville, dont un autour de la citoyenneté et la solidarité.

Sur le projet spécifique de « Il n'y a pas d’âge pour dire je t’aime » : 

  • L’association « J’ai vu un documentaire » ;
  • La Conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie du Morbihan ;
  • Le service d’action culturelle de proximité de la ville de Lorient.

Moyens

Humains

  • le coordonnateur Adultes/vie de quartier de la MPT pour 1/10ème d’ETP ;
  • le réalisateur/animateur de l’association « J’ai vu un documentaire ».

Financiers 

  • Réalisation du film : 16 500 euros dont 4000,00 euros de la CFPPA, un cofinancement Etat/ville de 3000,00 euros (projets politique de la ville), 3500,00 de fonds propre et 3000,00 euros de contribution en nature. Soit 866,00 euros par bénéficiaires ;
  • Diffusion du film : 15 000 euros, dont 4000,00 euros de la CFPPA, 3000,00 euros de la Ville, 2000,00 euros de l’Etat (et 6000,00 euros de fonds propres. Soit 1000,00 euros par bénéficiaires.

Matériels

  • Les locaux et le minibus de la MPT ; la mise à disposition par la ville de l’espace culturel du quartier, « la Balise » pour la première diffusion.

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